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L'automate portait une cravate

Femme trans fière et heureuse de l'être. En transition depuis deux ans. Suivie en libéral et en liste d'attente pour une vagino plastie à Lyon Sud par l'équipe du Grettis. Je vis seule en Auvergne. Je cherche un ou des lieux ou sites d'échanges qui se tiennent à l'écart
Plus qu'un véritable coup de gueule, l'article que je souhaite publier est aussi et surtout un récit teinté d'humour (un peu grinçant, j'avoue) destiné à désamorcer la charge émotive et le sentiment de honte et d'humiliation ressentis lors d'une mésaventure vécue cet été.

Car comme le dit la citation fondatrice d'un célèbre canard : « Quand je vois quelque chose de scandaleux, mon premier mouvement est de m'indigner, mon second mouvement est de rire. C'est plus difficile mais c'est plus efficace »

Quand tu es trans' PLUS cliente de la « Banque d'un monde qui change » (la BNP - ndlr), tu le sais pas encore, mais au niveau handicap de départ, tu cumules déjà un chouïa.
Quand tu es trans' PLUS cliente de la « Banque d'un monde qui change » et que tu as un désaccord avec ta banque et QU'EN PLUS tu oses « la ramener » comme on dit, et QU'EN PLUS DE PLUS tu tombes sur des gens un peu... démunis (j'ai envie d'être gentille avec les termes employés) sur le plan de la relation humaine, alors là... hou là là ! C'est plus du handicap ! Hou là non. Et dis-toi bien que ça va très très mal se passer la vie !

Alors voilà, cet été, je me suis retrouvée face (plutôt encerclée même) à des policiers équipés jusqu'aux dents et appelés contre moi par la banque. Trouille et humiliation garanties sans paraben ni OGM.
J'avais vu ça comme tout le monde, à la télé aux infos ou dans les séries. Mais le vivre en vrai, se retrouver pour de vrai dans le rôle du dangereux délinquant que les flics viennent interpeller, ça je dois dire que c'est une expérience qui manquait cruellement à mon palmarès existentiel.

Les faits sont racontés à la manière d'une fable mais ils sont véridiques. Les protagonistes de cette fable sont : Le Banquier, nommé l'Automate en Cravate ; Le Représentant des Forces de l'Ordre, nommé par simplification le RDFO ; et enfin la Cliente, nommée... la Cliente.

Par une belle matinée ensoleillée de fin juin, La Cliente se présente à l'agence de « La Banque d'un monde qui change » d'une jolie ville thermale d'Auvergne [la Bnp de Vichy - ndlr] afin d'y effectuer un retrait d'espèces.

Ce jour-là, elle est heureuse la cliente. Tout semble lui sourire. Elle sort de la mairie où elle vient d'apprendre qu'on va lui accorder l'autorisation pour son changement de prénom à l'Etat Civil. Le changement complet d'Etat Civil, ce sera la prochaine étape. Pour comprendre, il faut savoir que la cliente est une personne transgenre. C'est à dire qu'elle se présente sous une apparence féminine, qu'elle est perçue et insérée socialement comme telle mais que ses documents officiels sont encore sous son identité masculine. La cliente perdra vite son sourire.

Après quelques manipulations sur son clavier, le guichetier déclare
- « Ah ben ça marche pas. Le système refuse que vous retiriez. Vous ne pouvez retirer que dans l'agence qui détient votre compte. » Incompréhension de la Cliente :

- « Pour quelle raison ne puis-je pas retirer ? Il y a de l'argent sur mon compte. Je dois pouvoir retirer de l'argent dans n'importe quelle agence de « La Banque d'un monde qui change ».
- Ah ben non, rétorque-t-il. Là y'a eu un problème dans votre agence [ l'agence de DIGOIN en Saône & Loire – ndlr]. C'est bloqué. Vous ne pouvez retirer que chez eux.
- Oui mais là, dit La Cliente, je me trouve à soixante-dix kilomètres de mon agence. J'apprends à l'instant que je ne peux pas faire de retrait ailleurs que dans mon agence. C'est insensé. J'aimerais comprendre pourquoi on veut m'empêcher de disposer de mon argent.

Explications embarrassées du guichetier :
- « C'est comme ça... C'est l'informatique...bla bla bla...le système...bla bla bla... blocage...

Inutile de dire qu'à partir de cet instant La Cliente commence à être un tout petit peu agacée et que la tension monte d'un cran.
Entre alors en scène le Directeur :
- « Bonjour, Jean-Michel Letuyau-Boursier*, responsable de l'agence »

Le rond de cuir fait entrer La Cliente dans son bureau et lui dit : 
- « Je vais vous expliquer. Regardez l'écran, là... bla bla bla... l'informatique... bla bla bla... le Système refuse que vous retiriez... bla bla bla ... blocage... les automates... bla bla bla...
- Oui mais enfin, vous Monsieur, vous n'êtes pas un automate, vous êtes le directeur de cette agence. Peut-être pourriez-vous appeler mon agence pour essayer de trouver une solution pour me dépanner puisqu'il y a de l'argent sur mon compte ? Sans possibilité de retrait je me retrouve dans une situation vraiment compliquée.
- Non, répond-il, je ne le ferai pas. Je n'ai aucun pouvoir »

Alors là, les bras lui en tombent, à la Cliente. Parce que soit il dit vrai, le responsable d'agence mais responsable de rien et c'est à pleurer.
Soit, hypothèse plus probable, il a décidé qu'il ne lèverait pas le petit doigt pour cette cliente disons... un peu atypique, gênante. Et qui a, de plus, l'outrecuidance de « la ramener » comme on dit vulgairement.

D'ailleurs, l'Automate en cravate commence à s'énerver :
- « Maintenant ça suffit ! Vous n'écoutez-pas ce qu'on vous dit !
- Si parfaitement. J'entends bien. Vous ne cessez de me répéter la même chose comme un perroquet. Moi je vous répète que je veux retirer mon argent, c'est mon droit. J'en ai besoin pour faire des courses, pour mettre du carburant dans ma voiture. Je me trouve à une heure de route de l'agence qui détient mon compte. Je ne partirai pas sans l'avoir obtenu.
- Bon eh bien puisque c'est comme ça, je vais appeler la police !

Ni une ni deux, l'Automate en cravate se souvient qu'il sait utiliser un téléphone et décroche :
- « Allô bonjour, Jean-Michel Letuyau-Boursier* responsable de l'agence de « La Banque d'un monde qui change ». J'ai dans mon bureau une personne qui refuse de quitter l'agence. Elle est très vindicative (ben voyons, mieux vaut dire que le chien a la rage si on veut pouvoir justifier son abattage, n'est-ce-pas). Est-ce que vous pouvez venir ?

De fait, dix minutes plus tard débarquent dans l'agence trois RDFO**. Il faut bien ça. Gilets pare-balles et tout l'équipement.
L’un d'eux se met assis à côté de la Cliente. Lui demande sa carte d'identité. Les deux autres se placent de trois-quart arrière à droite et à gauche. Encerclement. La cliente est sidérée et tétanisée. Elle s'attend d'une seconde à l'autre à être sortie manu militari de l'agence. La honte. Mais elle pense que c'est bien le minimum qui puisse lui arriver. Cependant, rien de tel ne se produira. La cliente ne devra son « salut » qu'à l'intelligence qu'un policier opposera à la bêtise crasse d'un banquier.

Un simple coup d'oeil sur une carte d'identité suffit pour avoir connaissance de la transidentité d'une personne. Aussi, le chef des RDFO** aura, lui, un comportement exemplaire. Rassurant, pour la cliente. Lui faisant comprendre qu'elle ne doit pas paniquer et que tout va bien se passer.
Lui disant qu'il perçoit lui aussi, le côté insensé de la situation et que de surcroît, il voit face à lui une personne calme et polie.

L'Automate en cravate quant à lui, ne s'embarrassera pas de tant d'attentions. Ajoutant l'humiliation à la méthode répressive, il insistera lourdement tout au long de l' « entretien » en nommant la Cliente « Monsieur » à chaque détour de phrase. Et parsemant son discours de sous-entendus destinés à faire passer ce « monsieur » pour un délinquant financier, justifiant ainsi la mesure prise à son encontre.

Faut-il être intelligent et ouvert d'esprit pour devenir directeur d'agence bancaire ? Manifestement, ce banquier ne sait pas (ou s'en fiche) que face à une personne non conforme aux normes de genre généralement observées et dans le doute, il est possible d'employer des termes neutres, non blessants ni discriminants. Ou bien de demander à l'intéressé(e) comment il(elle) souhaite que l'on s'adresse à lui(elle). Bref, faire preuve d'un minimum de dialogue et de respect.

Au-delà du « désagrément » (c'est un euphémisme, bien évidemment) provoqué par cette mésaventure, on sourirait presque en voyant un individu formaté par un groupe bancaire se prévalant de slogan tel que « La banque d'un monde qui change ». Mais ne possédant pas plus d'initiative et d'humanité que les automates qui peuplent son agence.

Je tiens à remercier ma banque, la si bien nommée « Banque d'un monde qui change », qui après plus de quarante ans de bonne et loyale clientèle m'a traitée comme une m... Bon, je n'en suis pas morte, mais ce qui me surprend finalement le plus dans tout ça, moi qui me considère comme plutôt résistante sur le plan psychologique (mais beaucoup moins depuis que je suis en transition) c'est ce que j'appellerais « l'effet retard ». C'est à dire ce vague sentiment de se sentir moche, sale et fautive qui perdure à l'évocation de ce souvenir.

Vichy - novembre 2017
Agnès Jill B.

*Le nom a été changé.
**Représentant des Forces de l'Ordre.
Publié le : 07/12/2017, modifié le : 08/12/2017

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